En 2020 je suis parti à la recherche de groupes pour filmer des live sessions en plan-séquence comme j’avais l’habitude de faire en concert avec les rockers de The Drafts. Je voulais voir si le style de captation que j’ai développé avec ce groupe pouvait s’exporter vers d’autres styles de musique, d’autres ambiances, d’autres artistes.
Ainsi j’ai contacté le groupe Berling Berlin au cours de l’été 2020 pour leur proposer mes services, de là nous avons démarré une collaboration très fructueuse.
Je me suis ensuite mis à la réalisation du clip principal de l’EP pour la chanson Haçienda.
Dans ce clip je suis resté dans la palette visuelle que j’avais prise pour les photos, tout en expérimentant avec mon motif d’étude principal : la surimpression. Au tournage j’ai mêlé les plans-séquence types concert et live session pour pouvoir ensuite les superposer au montage. Effet que j’avais déjà essayé lors de montages tests du clip Slow des Drafts, sorti quelques mois plus tôt.
Tandis que le trailer et les photos se concentraient sur l’élévation, j’ai choisi pour le clip de me concentrer sur la rapidité et la rotation, avec des jeux de lumières et de surimpression faisant écho au soleil levant.
La surimpression et la superposition d’images m’intéressent depuis mon mini-documentaire Une Nuit aux Studio sorti en 2019. Encore très primaire comme idée à l’époque, la réalisation de clips et mes collages de photos m’ont permis d’aller plus loin dans ces domaines et d’en faire ma touche personnelle.
Ce clip marque une nouvelle étape dans mes recherches, je trouve la surimpression particulièrement intéressante pour accompagner la musique. La caméra nous limitant habituellement au « cadre » de son champ de vision, grâce à la surimpression on peut dépasser cette limite et rejoindre l’univers du son ; un domaine qui n’est pas ou peu limité à un champ contrairement à la caméra dont c’est la caractéristique principale.
La surimpression va venir ici sublimer la musique, le clip se posant comme une nouvelle (voire plusieurs) couche sonore. Dans ce montage l’empilement des couches visuelles va parfois réunir jusqu’à 4 sources différentes pour accompagner l’intensité de la musique.
Fin 2020 nous sommes partis en Normandie afin de tourner la live session pour laquelle j’avais approché le groupe à l’origine. Ce plan-séquence suit un autre titre de l’EP : Whistleblower. J’ai quelque peu changé ma méthode cette fois-ci, ayant pour habitude de filmer à main levée avec un zoom j’ai choisi ici de travailler avec un stabilisateur électronique et une focale fixe.
Ce changement de méthode a occasionné plus de ratés de ma part, la focale fixe m’a permis d’obtenir plus de lumière mais n’ayant pas d’autofocus j’ai perdu en netteté. L’utilisation du stabilisateur m’a aussi mis des bâtons dans les roues par le manque de maniabilité, le manque du rapport direct à la caméra que j’ai d’habitude en main levée. Les petits zooms m’ont aussi manqué sur la focale, mais j’ai pu compenser avec des recadrages numériques. Même si je n’ai pas livré ma meilleure performance ici je ne suis pas déçu de ce que j’ai filmé, je suis plutôt satisfait d’avoir pris une direction stylistique différente.
Après l’EP, l’année 2021 est aux couleurs d’un premier album pour le groupe. Hardworking Club en est le premier single dont j’ai réalisé le clip. J’ai ici délaissé la surimpression pour me consacrer à une autre forme d’empilement d’images, le fond vert.
Ce premier titre en français, plus mélancolique, était l’occasion de prendre une nouvelle approche, un clip plus narratif, sans instruments. Une ballade dans la tempête.
La première idée était de faire un clip en noir et blanc, plus tranquille que les précédents. Il m’est vite venu une idée de deux ombres s’éloignant progressivement vers les bords de l’écran, avec en arrière-plan des images d’amoureux, pour créer un contraste. J’avais aussi en tête les films expressionnistes allemands, notamment L’Aurore (1927) de F.W. Murnau, j’imaginais le narrateur de la chanson suppliant sa compagne, son mal-être intérieur qui bouillonne et se transforme lentement en rage.
Cette idée m’a emmené vers le concept de la tempête, les nuages qui grondent et enfin explosent, tonnent et pleurent, cela rejoint d’ailleurs le Sturm und Drang (« tempête et passion ») des allemands. Parti de l’expressionnisme, je suis arrivé à l’impressionnisme français durant la post-production, ainsi c’est le travail de Jean Epstein, notamment Le Tempestaire (1947) et Cœur Fidèle (1923), qui m’a accompagné lors du montage. La surimpression fait donc son retour dans ce clip avec des répétitions de plan, des silhouettes qui s’effacent dans le temps « comme les larmes sous la pluie ». Le clip a quelques problèmes techniques et il est moins vendeur que les précédents mais globalement j’en suis très fier, cette chanson plus calme sur l’album était une opportunité de sortir des sentiers battus, ce que je n’avais pas fait depuis 46.2, c’est une expérience que j’aurai rarement l’occasion de reproduire.
Fin 2021, il était enfin temps d’annoncer la sortie de l’album. Le clip de Your Eyes, plus minimaliste à l’image de la direction artistique de Layla Gras, en était la figure de proue.
Coréalisé avec le batteur du groupe, nous avons décidé d’explorer un jeu d’ombres et d’anonymat. À la manière de Before I Forget de Slipknot, on voit les membres du groupe, mais pas leurs visages, leur identité. Ici ce ne sont que des ombres englouties par leur environnement.
Esclaves du désir du spectateur, les personnages sont bloqués dans une boucle parasitée qui se dégrade et sature de plus en plus. Cela fait écho au thème de la chanson, la rage et l’impuissance face à l’infidélité de l’autre. Le narrateur acceptant son sort, il trouve une échappatoire en faisant exploser cette prison cathodique, il se libère enfin de son fatalisme.
Ce clip marque la fin de mon aventure avec le groupe, il m’a permis de synthétiser tous mes motifs et idées développés depuis Haçienda. La surimpression comme représentation des couches de musique, les ombres qui se succèdent comme des copies de copies, l’emprisonnement… Après des premiers projets balbutiants j’ai pu m’épanouir pleinement dans cette collaboration et en sortir des oeuvres riches et puissantes personnellement.